La politique de l’autruche n’étant pas notre fort, impossible de sortir de ce week-end du Rallye Condroz-Huy sans évoquer le futur de ce qui est assurément l’épreuve routière la plus populaire de Belgique. Et même si le Motor Club de Huy a tenté de rassurer le public présent lors de la cérémonie protocolaire improvisée sur le podium, inutile de se voiler la face, les problèmes à solutionner sont nombreux.
Avant tout, puisque d’aucuns pensent que la presse est maîtresse absolue dans l’art des amalgames, il importe de reconnaître que l’accident qui a malheureusement coûté la vie à deux spectateurs samedi dans Engis-Nandrin, à Villers-le-Temple, relève de la fatalité. Aussi invraisemblable et paradoxal que cela puisse paraître, ces spectateurs-là étaient bien situés. La suite relève d’un enchevêtrement de circonstances qui ont abouti à un drame.
Un bilan très lourd qui aurait pu être bien plus sévère encore, si un quelconque incident sérieux avait eu lieu en maints endroits le long des spéciales du samedi. Et des sorties de route, il y en a eu, parfois très spectaculaires. Par miracle, tout s’est bien terminé… Mais les miracles ne durent pas éternellement.
Trop populaire
A la question de savoir si le rallye en tant que discipline sportive est menacé après cette édition catastrophique du Condroz-Huy, la réponse est clairement… non ! Certes, ce week-end a mis en exergue d’innombrables problèmes et manquements, mais quand on voit le nombre de rallyes, rallyes-sprints et autre B-shorts organisés durant une saison, le tout dans le cadre d’un sport que l’on sait dangereux, on se dit que le bilan est plutôt positif. Pour spectaculaires qu’ils soient, les accidents graves restent rares dans notre pays, et c’est tant mieux.
Si l’énorme majorité des organisateurs peut envisager les prochains mois avec une certaine sérénité, c’est-à-dire en veillant à ne surtout rien laisser au hasard, le problème est plus aigu pour les rallyes populaires, voire très populaires, que sont les Legend Boucles de Spa, Ypres (géré et encadré différemment, avec une omniprésence policière), le Condroz-Huy, et dans une moindre mesure le Rallye de Wallonie. Ces épreuves ont le privilège, qui n’en est en fait pas vraiment un, d’attirer le grand public.
Et donc une collection invraisemblable d’individus qui n’ont qu’une vague idée des dangers inhérents à ce type de compétition. Des personnages plus habitués aux tribunes des stades de football qu’aux rallyes automobiles, dont la particularité majeure est d’accompagner tout loisir d’une consommation importante d’alcool et de produits hallucinogènes. Des spectateurs, jeunes pour la plupart (mais pas seulement…), passés maîtres dans l’art du tout et du n’importe quoi, qui prennent un malin plaisir à remettre à l’honneur ce ‘sport’ débile consistant à rester sur la route jusqu’au moment du passage des voitures, pour s’écarter au tout dernier moment. On appelle cela le syndrome "Rallye du Portugal en mode Groupe B".
Ajoutez à cela des comportements irresponsables et hautement inciviques, qui consistent à roter, péter, cracher, gueuler, insulter, et vous obtenez d’excellentes raisons pour de plus en plus de passionnés de ne plus se rendre au bord des spéciales. En fait, "à Huy, le rallye, c'est la fête..." et certains ont interprété cela en faisant de l'épreuve finale du championnat de Belgique un "15 août bis", où les activités culturelles et folkloriques sont remplacées par le spectacle des autos de course lancées à pleine allure. Or, alcool et joints ne se marient que très mal avec un "jeu" consistant pour les pilotes à aller le plus vite possible.
Pilote de la voiture "0" lors de ce Condroz-Huy 2011, Timothy Van Parijs a parfaitement résumé la situation, en déclarant : "Samedi, sur les spéciales, il y avait des cons, dimanche, des passionnés de rallye…". Impression encore confirmée par les nombreux appels à la raison des Neuville, Thiry, Vande, et bien sûr Freddy Loix, dont la vidéo de l’intervention en pleine spéciale, certes neutralisée, pour conscientiser le public, n’est pas passée inaperçue. Même si, là où elle a eu lieu, elle n’a visiblement guère été couronnée d’effets positifs. Ce n’est d’ailleurs pas tous les jours que Freddy adresse un doigt d’honneur aux spectateurs d’un rallye depuis l’habitacle de sa Skoda Fabia S2000. Une preuve parmi beaucoup d’autres que ce week-end, on a vécu des choses anormales…
Une parade insuffisante
Face à cette situation, encore amplifiée par une météo très (trop) clémente qui a provoqué un afflux sans cesse plus important du grand public, et visiblement asséché bien des gosiers, le Motor Club de Huy a péché par insuffisance. On ne comptait plus les endroits du parcours où commissaires et stewards brillaient… par leur absence. Ou alors, les équipes s’occupant – entre autres – de sécurité sont désespérément impuissantes face à des hordes de spectateurs souvent mal intentionnés. Et bien sûr très mal embouchés.
Il n’est pas dans nos habitudes de publier des photos scabreuses, mais l’illustration qui accompagne cette réflexion illustre à elle seule ce Condroz 2011. On y voit un pilote débordant d’enthousiasme (jusque-là, rien d’anormal dans un rallye), un public d’une inconscience rare, et au loin des commissaires ou stewards ayant apparemment décidé qu’il valait mieux laisser faire, plutôt que de chercher les problèmes. Flatteur… D’autant que, comme le virage suivant est une épingle vers la gauche, ces hommes en fluo sont postés en pleine échappatoire.
Dans d’autres sports, principalement en football, l’encadrement des groupes de supporters dits "à risques" est souvent à la hauteur de la bêtise incarnée par ces derniers. Essayez donc de monter sur la pelouse du Standard juste avant le coup d’envoi d’un match, de montrer votre derrière à la tribune d’en face ou aux acteurs du match, en défiant les forces de l’ordre, le tout imbibé d’alcool et de cigarettes qui font rire, et vous verrez ce qui risque fort de se passer...
L’impasse
Faut-il en conclure que le Motor Club de Huy a sous-estimé l’aspect sécurité à l’aube de ce Condroz 2011 ? Oui. Avaient-ils seulement la possibilité de faire autrement ? Non, probablement. Ont-ils les moyens de financer la présence de centaines de policiers pour canaliser le public au bord des spéciales ? Non. Conclusion : le Condroz-Huy est dans une impasse.
A cela, on ajoutera les commentaires, très nombreux, des concurrents, qui ont en vu des vertes et des pas mûres, principalement le samedi. Des concurrents parfois lancés dans des spéciales, en mode chrono, après une neutralisation d’une heure, sans même qu’une voiture de sécurité annonce au public, forcément placé n’importe où, la reprise de la course… Totalement suicidaire.
Des concurrents contraints de ralentir, de ne plus attaquer, voire de se jeter contre un talus après un freinage manqué, plutôt que de privilégier une échappatoire… bondée de monde. A ce sujet, l'utilisation de la vidéo de la sortie de route d'Yves Doha (Subaru) par certains médias (toujours les mêmes, d'ailleurs...) est purement scandaleuse. Le comportement des spectateurs, qui font tout pour dégager la Subaru de la route, tout en prévenant les concurrents suivants qu'il y a danger, est typique de ce que l'on rencontre sur les rallyes avec un public de passionnés. Mais là où cela ne va plus, c'est qu'aucun commissaire n'est présent à cet endroit. Or, il s'agit d'un freinage bosselé en fin de spéciale, avec absence de visibilité. Si même ce genre de piège ne mérite pas la présence d'une équipe de commissaires, où va-t-on ?
Inutile de nier, une simple visite sur l’un ou l’autre forum suffit à multiplier les exemples de ce type…
Et on ne s’étalera pas sur les problèmes purement organisationnels, qui font par moments du Rallye du Condroz-Huy une épreuve digne d'une compétition régionale. Dans ce cas aussi, inutile de crier au scandale et à l’assassin envers l’auteur de ces lignes, une simple conversation des responsables du Motor Club de Huy avec une poignée d’équipages suffira à leur permettre de remplir un carnet avec la liste des choses à revoir.
Que doit dès lors faire le Motor Club de Huy ? Comme nous, c’est-à-dire ne pas pratiquer la politique de l’autruche. Exiger une minute de silence en hommage aux victimes de cette édition 2011, logique. Mais l’affaire ne doit pas en rester là. Si prompt à réagir en d’autres circonstances, le Royal Automobile Club of Belgium se doit d’intervenir, de rassembler tout le monde autour d’une table, pour envisager la suite. En ce funeste mois de novembre, deux spectateurs ne se sont pas relevés. Combien à l’automne prochain ? Imaginez seulement une réaction inattendue de la Mini John Cooper Works WRC de Patrick Snijers au moment où a été prise cette désormais célèbre photo…
Quelle communication ?
Ultime volet du dossier : la communication. Force est de constater que d’un bout à l’autre de l’épreuve, a fortiori lorsqu’un drame se joue, tout organisateur responsable se doit de réagir promptement, pour empêcher au plus vite la propagation d’informations fantaisistes. Et Dieu sait si certains individus sont passés maîtres dans ce genre d’exercice sur les rallyes…
Une remarque qui s’applique également aux importateurs (Peugeot, Skoda, Citroën et Ford), ou à leurs représentants, qui ont pris une décision importante, celle de demander à leurs équipages de ne pas repartir le dimanche matin, alors que l'inverse avait été décidé la veille au soir, suite à la réunion avec les bourgmestres.
Ne peut-on pas imaginer qu’une justification d’une telle décision soit nécessaire, voire conseillée ? Cela éviterait qu’une horde de journalistes ne tente de pister les Neuville, Loix, Thiry et consorts au centre de Huy, afin d’avoir ne fut-ce qu’un mot d’explication. C’est du moins notre avis. C'est aussi une question de respect envers le public, qui est retourné sur les spéciales le dimanche matin, tout étonné de ne plus y voir Neuville et Loix, contrairement à ce qui avait été annoncé.
En conclusion
On le voit, les sujets de discussions ne devraient pas manquer au Motor Club de Huy ces prochains jours, ces prochaines semaines, et probablement ces prochains mois. De tous les sujets évoqués dans les lignes qui précèdent, il conviendra néanmoins de reparler, à un moment ou à un autre. Forcément. La balle est dans le camp des organisateurs… mais seuls, ils n’arriveront forcément à rien.
Fédération, autorités communales, force de l’ordre, équipes de sécurité, tous doivent se réunir et se serrer les coudes pour définir un nouveau cahier des charges, de nouvelles approches d’un tel évènement populaire à souhait. Sinon, le concept actuel du Rallye du Condroz-Huy aura vécu… (Vincent Franssen Photo
www.photomathieu.be)