Comme nous vous l’avons relaté avec bonheur cinq jours durant, Stéphane Prévot a fait partie de la poignée de Belges qui ont relevé le défi du Roger Albert Clark Rally 2021. Engagé ‘sur le buzzer’ aux côtés de Miguel Henry de Frahan (Ford Escort MK2) en remplacement d’Eric Gressens indisponible, l’ex-copilote emblématique de Bruno Thiry a forcément pris du plaisir à l’occasion de cette épreuve qui, vu de l’extérieur, peut sembler totalement hors normes ! L’occasion était belle de passer un petit coup de fil à Stéphane dès son retour à la maison, et tailler une bavette autour d’un verre hélas virtuel…
Premier thème abordé : le caractère surréaliste de cette version historique du RAC Rally, auquel Prévot prenait part pour la 3ème fois… en plus de ses 16 participations au RAC en version moderne… "C’est en effet assez surréaliste… car deux mondes se côtoient lors du Roger Albert Clark, entame Stéphane. Il y a les mecs du top 10, qui sont sur une autre planète, et tous les autres. Je trouve d’ailleurs qu’avoir autorisé les notes sur le RAC n’est pas la meilleure idée que nos amis Britons ont eue. Pour moi, le RAC, c’est un truc sans notes, à la carte. Comme par le passé… Le souci, c’est que les jeunes copilotes ne savent plus réellement lire une carte. En dehors de Google Earth, ils sont perdus… Ce qui a sans doute incité les organisateurs à proposer des notes réalisées par deux copilotes anglais."
Comme le parcours, que ce soit en Ecosse ou au Pays de Galles, est composé de spéciales utilisées lors d’autres épreuves organisées en ces contrées, les prétendants à la victoire disposent d’informations très précises… "Quand on voit ce qu’ils mettent aux autres, même à Stefaan Stouf et à Christophe Jacob, qui connaissent parfaitement ce genre de musique, c’est tout simplement ahurissant, poursuit Stéphane. Quand on part de zéro, comme c’était le cas de mon pilote Miguel Henry de Frahan, on prend très logiquement des valises. Mais on l’accepte avec humilité. Devant, ça allait tellement vite que ça a fini par faire beaucoup de dégâts. Les Pritchard, Barrett et Pryce survolaient l’épreuve avec leurs Escort MK2, ils sont tous sortis ! Résultat : c’est Ryan Champion qui a décroché la victoire, sur une Porsche ! Je l’ai eu au téléphone, il était presque gêné d’avoir gagné après avoir ramassé des valises durant les premiers jours de course. Cette épreuve avec des notes, c’est donc vraiment dommage…"
Entre Ecosse et Pays de Galles
Le Roger Albert Clark Rally est donc divisé en deux parties : trois journées en Ecosse, notamment dans Kielder Forest, et deux au Pays de Galles… "Cela pourrait franchement être l’inverse, analyse Stéphane. L’Ecosse, c’est très rapide… mais étroit, entre des arbres ! Pas le doit à l’erreur ! Pour les débutants et les pilotes moins aguerris à l’exercice, cela n’aide pas à gagner en confiance. Le Pays de Galles, par contre, c’est le pied ! On oscille entre 2ème et 3ème vitesse, ce qui signifie que c’est à la portée de tout le monde. On peut faire de grands travers sans risquer d’y laisser la caisse. Bref, le bonheur absolu. Pour moi, ils peuvent clairement enlever une étape en Ecosse et en ajouter une au Pays de Galles… Il n’y a pas la moindre spéciale dans les parcs, par contre. Pour les spectateurs et le show que ça représente, ça manque…"
Reste que le RAC Rally en version historique est une vraie épreuve à l’ancienne… "On roule 75% du temps dans le noir ! Et vu le timing, ce ne sont pas cinq journées de repos, je peux vous assurer… Pour le reste, c’est organisé à l’anglaise… Avant le départ, tout est minutieux, on dispose de tous les documents, toutes les infos, c’est millimétré. Par contre, une fois que le rallye démarre, c’est en gros chacun pour soi ! Il n’y a pas de Relations Concurrents là-bas. En cas de remarque ou contestation, on a juste le numéro d’une secrétaire qui sert en fait à réceptionner les infos des équipages qui ont abandonné mais qui veulent reprendre le départ le lendemain. A un moment, on a écopé d’une pénalité de 6 minutes pour un pointage anticipé. C’était du n’importe quoi ! Et bien, il m’a fallu… 36 heures avant de pouvoir me faire entendre ! Totalement fou…"
Cela dit, quelle que soit le niveau de gestion durant l’épreuve, le Roger Albert Clark, c’est ‘the’ truc ! "Bon, pour aller voir, mieux vaut être fans d’Escort !, se marre Stéphane. Sur les 150 voitures au départ, y en a 125 ! Ce qui rend la victoire d’une 911 encore plus improbable. En fait, s’il y a 150 équipages engagés, c’est une volonté de l’organisateur de limiter à ce nombre. Résultat : la liste d’attente est riche de… 100 voitures au moins ! C’est en avril qu’on peut s’inscrire, et 130 places sont réservées pour les Anglais. En 5 petites minutes, c’est complet ! Ils sont tous devant leur écran à attendre de pouvoir confirmer leur présence. Pour les étrangers, il y a 20 places disponibles, et c’est plus cool. Et si le quota de 20 voitures n’est pas atteint, les organisateurs puisent dans les premiers réservistes anglais. C’est un truc de fous ! Impressionnant…"
Tempête !
Et puis, il y a eu la tempête du vendredi soir. Arwen, l’a-t-on baptisée. Et elle a fait des dégâts, piégeant d’innombrables équipages qui ont passé la nuit dans les voitures ou ailleurs, en attendant que les routes et chemins soient de nouveau accessibles, vu le nombre impressionnant d’arbres couchés ! C’est là que l’aventure de Miguel Henry de Frahan et Stéphane Prévot a pris une tournure que nous avons qualifiée de surréaliste.
"Nous ne sommes pas restés bloqués dans Kielder Forest, en fait, se remémore Stéphane. Nous étions sur la liaison, une fois sortis de la forêt. Et notre embrayage n’était pas au meilleur de sa forme. Sur le coup de 22h30, nous avons été stoppés… dans une côte avec une vingtaine d’autres voitures ! Il y avait des arbres sur la route, impossible d’aller plus loin et de poursuivre le parcours. Des voitures d’assistance rapide sont arrivées, et dans l’une d’elles, il y avait… un ancien mécano de l’Opel Team Belgium, Kevin Cox, qui m’a reconnu ! Il nous a invités, Miguel et moi, à le suivre. Il connaissait une route pour contourner l’obstacle. Une trentaine de miles en plus, mais bon… On a manœuvré, les mecs nous ont poussés vu les soucis d’embrayage, on a claqué la première et on s’est mis en route. Les autres ont eu la même idée. De quoi former un joli train-train de près de 30 voitures de course et une douzaine de véhicules d’assistance ! Vers 1h15 du matin… de nouveau bloqués ! Dans une zone où, bien évidemment, aucun GSM ne passait ! Et là, ce même ex-mécano vient me trouver en disant : il y a un petit hôtel à 500 mètres. Allez-y déjà, je préviens tous les autres dans quelques minutes. L’hôtel en question devait posséder trois ou quatre chambres… Et croyez-le ou non, le bar était toujours ouvert ! Les gens de l’hôtel ont été incroyablement charmants. Ils ont distribué toutes leurs couvertures, leurs oreillers de réserve. Au final, il y avait une soixantaine de gars qui tentaient de dormir à même le sol, au pied du bar, dans les escaliers, sur les tables. C’était une vision incroyable ! Au petit matin, les tenanciers de l’hôtel ont offert le café à tout le monde, sans rien faire payer. Sur le coup de 8 heures, des bûcherons sont arrivés de partout dans la région, ils ont débité les arbres couchés sur les routes, et nous avons pu repartir. On a atteint l’arrivée de l’étape… samedi à 11h00. Là, on a appris que l’étape du jour était annulée. Heureusement, car sinon, il aurait fallu qu’on reparte 20 minutes après être arrivés. Honnêtement, il n’y a que sur ce genre d’épreuve qu’on peut encore vivre des trucs comme ça !"
Un truc qui s’appelle… passion !
En terminant le Roger Albert Clark Rally en 60ème position, Stéphane Prévot n’a sans doute pas signé le meilleur résultat de sa carrière. Qu’importe… "De toutes manières, en attaquant comme des fous, on aurait terminé 55èmes. Mon pilote, Miguel Henry de Frahan, en était à son… 6ème rallye. Il prépare tout lui-même sur son auto. Une bonne Escort Gr.4 avec mécanique BDG. Il était là pour réaliser un rêve : son papa avait participé au RAC Rally en 1978, et c’était sa manière de rouler sur ses traces. Il voulait finir. Ce que nous sommes parvenus à faire. Sans un tête-à-queue, sans un tout-droit, avec juste un souci d’embrayage résolu en 10 minutes à l’assistance. Certes, je n’ai pas eu l’impression de risquer ma vie pour tenter de signer un scratch, et si un jour, je peux accompagner Pryce, Barrett, Pritchard ou un autre qui joue devant, je le ferai. Mais ces gars-là ont besoin de copilotes qui connaissent tout par cœur. Ici, c’était différent. Une très belle aventure humaine, dans un team Legendary Racing avec trois voitures. On regarde les chronos des autres, on s’inquiète de leur présence à l’arrivée de chaque étape, bref, on vit le truc à fond. En embarquant pour le Roger Albert Clark, je rentrais du Costa Brava, que j’avais disputé avec Jean-François Mourgues dans l’habitacle d’une BMW M3 E30 (avec une 5ème place finale à la clef. NDLR). C’est dire si j’étais moyennement préparé avant d’affronter ce RAC historique. Et dans ces conditions, on ne peut que tenter d’enquiller les spéciales et les étapes. Mission accomplie. Vous savez, cette épreuve, c’est 560 kilomètres contre le chrono ! Plutôt costaud pour un pilote qui n’a que peu d’expérience… Il me fallait donc m’adapter à son rythme, et l’aider le mieux possible. Ce type de rallye fait partie de l’histoire, du patrimoine, y prendre part, c’est un vrai plaisir. Et puis, un BDG qu’on fait gueuler à 9000 tours en effectuant de grands travers, ça reste exceptionnel à vivre. Les spectateurs du Roger Albert Clark, très nombreux, sont aussi passionnés que gentlemen. Ils restent pour voir passer l’intégralité de la caravane. Dès que vous faites hurler le BDG, ils applaudissent, font des signes, encouragent. Ils sont là pour ça. Magique…"
Vous l’avez compris, après… 449 rallyes dans sa carrière (source eWRC), Stéphane Prévot reste un passionné de compétition, de belles épreuves, d’aventures humaines et de moments forts. Gageons qu’on le retrouvera un jour au départ du Roger Albert Clark Rally… (Vincent Franssen)