Océane, 20 ans, qui envoie des messages ‘whatsapp’ à son paternel pour montrer qu’elle est bien arrivée au Mans, à l’entrée du célèbre Circuit des 24 Heures. Louis, 12 ans, resté à la maison, qui s’apprête à passer de longs moments sur sa tablette. Scène on ne peut plus commune, banale, samedi dernier, jour d’un truc dont les générations d’avant avaient à peine entendu parler, et donc superbement ignoré : GP Explorer !
En fin de journée, le constat est sans appel : avec plus d’un million de vues sur Twitch (record battu !), et 40.000 personnes sur place, tout ça pour une course de Formule 4 de 30 minutes, la jeune génération vient de mettre une très grande baffe dans la gueule des aînés, des experts et des donneurs de leçons. Et très accessoirement, une communauté ayant pour seul lien avec le sport automobile la F1 découverte via la série Netflix, a assuré à elle seule l’une des plus retentissantes promotions du sport auto ces dernières années, voire décennies ! Incroyable…
Quelques explications…
Avant tout, GP Explorer, c’est quoi ? Le pari un peu fou d’un certain Squeezie, qui a clairement de la tchatche à revendre, et qui est connu parmi les plus célèbres ‘youtubers’ ou ‘influenceurs’. Vous savez, ces jeunes qui parlent aux jeunes, qui n’arrêtent jamais de parler, d’ailleurs, souvent trop vite, pas trop bien… mais ça marche ! Notez que ça, c’est l’avis du paternel d’Océane et Louis… Celui-là même qui rédige ces lignes. On l’appellera ‘le vieux’…
Donc, le fameux Squeezie, via un autre truc dont les ‘anciens’ n’ont forcément rien compris non plus, se met en tête de réunir quelques-uns des ‘youtubers’ de son espèce les plus populaires, afin d’organiser une course de Formule 4 sur le Circuit Bugatti du Mans. L’initiative peut faire sourire, on se dit d’abord que ce ‘gentil garçon’ doit confondre course de bagnoles et partie d’auto-tamponneuses sur la foire. Mais au fil des mois, Squeezie et ses amis vont au bout des choses. Ils parviennent à convaincre la FFSA, le Circuit du Mans, des partenaires majeurs, à l’image d’Alpine, pour ne prendre que ce seul exemple, à pointer dans leur agenda la date du samedi 8 octobre ! Gonflés, les mecs…
Pendant ce temps, la communauté des ‘influenceurs’ joue le jeu, annonce le défi tous azimuts, détaille au fil des semaines le programme des animations, musicales et autres, qui garniront une journée consistant en deux séances d’essais et une course de 30 minutes. Et croyez-le ou non, ça marche ! Rapidement, des milliers de jeunes se ruent sur les tickets, avides de participer à ce qui prend quelque-part la forme de leur ‘Woodstock’ à eux ! Des mois avant l’événement, il est acquis que le succès sera au rendez-vous… Mais ‘le vieux’, comme d’autres de sa génération, l’ignore, évidemment…
Pendant qu’ados et jeunes adultes piaffent d’impatience, du côté des acteurs, ces fameux ‘youtubers’, on fait les choses dans les règles de l’art. Coaching, apprentissage des rudiments du sport auto via les simulateurs puis le karting, et enfin stages de pilotage afin de prendre en main une monoplace de Formule 4 !
Et arrive le grand jour ! Les 40.000 spectateurs réunis dès le petit matin au Mans, et le million d’internautes, vont suivre les évolutions des Deujna, Domingo, Amixem, Théobabac, Dobby, Djilbi, Valouzz, Lebouseuh, Etienne, Sylvain, Depielo et consorts. Sans oublier Squeezie, bien sûr ! C’est qui, répondrez-vous ? Des gens… Qui en influencent d’autres, de leur génération. Le genre de truc qui permet de comprendre que passé 50 piges, on n’est plus nécessairement dans ‘la vibe’…
Mais ça va intéresser qui, cette course entre idoles des jeunes de maintenant ? Et bien, les jeunes eux-mêmes ! D’autant que cette course sera commentée par d’innombrables autres ‘influenceurs’, qui feront constamment monter la sauce !
Une trentaine de minutes après le départ de ce qui ressemblait furieusement à… une course de F4 comme beaucoup d’autres, Sylvain s’imposait devant Depielo, Etienne, Lebouseuh et Squeezie ! Oh, voilà une hiérarchie qui ne va rien changer à l’histoire du sport auto. Mais qui va laisser des traces…
Qu’importe ce qu’on pense de ce milieu des ‘influenceurs’, un seul constat s’impose : ce week-end, une génération s’est prise de passion pour le sport auto ! Pas en assistant à la tragi-comédie d’un Grand Prix du Japon consacrant dans la cohue Max Verstappen pour la deuxième fois, non, mais en suivant leurs ‘idoles’, leurs ‘porte-drapeaux’ ou ‘porte-voix’ s’affronter au volant de petites monoplaces !
Alors que le sport auto de manière général est plutôt en délicatesse avec la jeunesse ces dernières années, d’un coup d’un seul, les projecteurs se sont braqués sur une bonne vingtaine de ‘leaders’ qui avaient décidé de se tirer la bourre comme les champions, sur un vrai circuit, dans le cadre d’une vraie course officiellement reconnue et validée, et au volant de vraies voitures de compétition.
De ces centaines de milliers de jeunes, une part risque de se prendre au jeu, en se disant que finalement, c’est sympa, les courses que regardent ou commentent papa ! Cela mérite sans doute d’être dépoussiéré et mieux promotionné, mais c’est sympa ! Digne d’une série à succès, en fait…
Là voilà, la baffe dans la gueule ! Des centaines de fois, ‘le vieux’ leur a parlé de Lewis, Max, Charles, Carlos, Sergio, Fernando et les autres, des exploits des acrobates du rallye, qu’ils se prénomment Thierry ou Kalle, des pilotes d’usine s’affrontant en endurance, de la magie des épreuves pour voitures anciennes. La sauce prenait parfois, puis le gâteau retombait aussitôt…
En fait, ce qu’il fallait, c’était leur parler selon leurs codes, à ces jeunes. Que Squeezie et les autres leur expliquent qu’ils allaient faire un truc avec des bagnoles de course, et que ça allait être bien…
C’est ce qu’il convient d’appeler une opération rondement menée ! Y aura-t-il d’autres épisodes de GP Explorer ? Peu importe… Il y a eu des milliers de festivals après Woodstock, mais celui-là, personne ne l’a oublié. Car il avait tout simplement valeur de symbole. GP Explorer évolue dans les mêmes sphères symboliques. Une génération entière s’y est retrouvée, alors qu’on parlait d’une course de bagnoles. Dingue !
Alors, Océane et Louis, en ce jour que vous n’oublierez sans doute jamais, ‘le vieux’ vous tire un coup de chapeau. Oh, il ne deviendra sans doute jamais un adepte de Squeezie, Depielo, Lebouseuh et les autres… mais il leur sera longtemps reconnaissant d’avoir servi sur un plateau d’argent du sport auto à toute une génération. Cela s’appelle une grande et belle leçon d’efficacité dans le chef des ‘djeunes’, et d’humilité dans les rangs de leurs géniteurs… Voilà qui est dit ! Et bravo, cher Squeezie ! (Vincent Franssen)